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"Quand on aime il faut partir" - Blaise Cendrars

Voyage à Moïssala – 8

Première journée à Moïssala

La première journée à Moïssala commença tôt après une nuit nécessaire. Le soleil allongeait encore les ombres dans la fraîcheur matinale. Nodji, déjà levé, se tenait dans un angle de la concession que la lumière réchauffait, ainsi qu’un gamin qui profitait du même coin et qui me dévisagea avec curiosité lorsque je m’approchai d’eux pour les saluer.

Notre concession était en chantier. Un frère de notre hôte avait acheté le terrain peu de temps auparavant et y faisait construire. Deux pièces étaient terminées, dont celle où nous logions, une autre était à l’ébauche. Les murs en avaient été commencés, mais ils ne montaient qu’à hauteur du genou. Le mur d’enceinte, quant à lui, était à peu près terminé, mais certaines parties n’avaient pas la même hauteur que les autres. Le sol de la cour était encore en friche et un peu cabossé, et la douche1 n’avait pas de porte. En dépit de cet inachèvement, les travaux en cours témoignaient d’une certaine aisance financière et une fois terminée, la concession sera certainement très confortable.

En face de la concession, une maison de brique hébergeait une famille. Durant tout le séjour, la femme viendrait, plusieurs fois par jour, pour nous porter le repas, l’eau, parfois chauffée pour le petit déjeuner ou nous laver. J’imagine que ces services avaient été négociés et étaient rémunérés, mais la discrétion de cette femme – et de la plupart des gens que j’ai croisés à Moïssala – était presque gênante, tant elle semblait témoigner de respect. Au Tchad, la façon de saluer permet de marquer le respect que l’on a pour la personne que l’on salue. Pour cela, on place la main gauche sous l’avant-bras de la main tendue et l’on fléchit les genoux, plus ou moins selon l’importance de la personne que l’on a en face de soi. Parfois, on s’agenouille au sol pour saluer, si vous êtes vous-même assis sur un siège ou une natte. Cette femme apparaissait donc, souvent à la nuit tombée, avec le plateau du dîner qu’elle avait préparé, dans un silence absolu. Elle déposait son plateau près de nous et repartait aussitôt après nous avoir salué respectueusement. Son absence de maîtrise du français explique en partie seulement son silence.

Julien, notre hôte, arriva alors que Valentin à son tour était levé. Nous pûmes prendre le petit déjeuner dont l’eau avait été chauffée et les gâteaux cuisinés par cette voisine. Nous discutâmes alors du programme de la journée, et il s’agit surtout de découvrir Moïssala, et de nous enquérir des animations proposées dans le cadre du festival. Décidément, mon système digestif avait délibéré de me gâcher le plaisir, mais une rasade de Lopéramide eut raison de sa mauvaise grâce.

Une fois prêts, nous prîmes la direction du centre de Moïssala, à pieds. Comme je l’ai déjà écrit, Moïssala est remplie de manguiers. A la faveur de la fête, des fanions aux couleurs du Tchad ornaient ses rues et il planait une atmosphère de fête. Pendant trois jours, j’eus l’impression d’être immergé dans une sorte de remake tchadien de Jours de fête de Jacques Tati. Une ville un peu hors du temps, mais la modernité est à ses portes et ses habitants l’appellent de leurs vœux – du moins par la voix de leurs élites.

La fête de la veille semblait encore animer les rues, et une foule inhabituelle arpentait les rues de la préfecture. La population locale avait doublé ou triplé en l’espace de quelques heures, pour la durée des festivités. En réalité, nous fûmes quelque peu déçus par celles-ci. Tout avait été consommé la veille, lors de la cérémonie d’ouverture à laquelle notre panne nous avait interdit de participer, et il n’y avait plus que quelques animations ponctuelles, essentiellement des conférences.

Nous gagnâmes donc le centre ville, et de là continuâmes vers les bords du Chari, en traversant le marché-foire qui avait été installé au pied de gigantesques manguiers.

Plus encore qu’à N’Djamena, les rives du Chari sont occupées par une foule importante qui s’y livre à d’innombrables activités. Lessive, toilette, mais également toutes sortes de commerces et de trafics. De poisson bien sûr, mais également de tout ce que les passeurs en pirogue peuvent acheminer d’une rive à l’autre. Et même si le climat est ici moins aride qu’à N’Djamena, le fleuve est une artère vitale pour les populations. Il y a dans cette union du fleuve et des hommes une dimension intemporelle. En découvrant ces foules sur les rives, je songeais aux foules assemblées sur les bords du Jourdain dans l’Evangile, aux eaux fertiles du Nil, aux foules des rives du Gange.

Le marché-foire au pied des manguiers accueillait des stands présentant les spécialités régionales, à côté des marchands des denrées quotidiennes habituelles : poissons de toutes tailles, riz, légumes, fruits, volailles, viande, épices et condiments. Devant l’un des stands, un attroupement s’était formé, des passants y exécutant spontanément une dans traditionnelle.

Nous continuâmes notre découverte de Moïssala et arrivâmes devant la concession du chef de canton, homme à la stature impressionnante, qui nous souhaita la bienvenue. Une séance de photos immortalisa notre rencontre, puis nous poursuivîmes notre chemin, en direction de l’antenne de télécommunication où il serait possible de recharger les téléphones portables, caméscope et appareils photo.

Au pied de cette antenne, une tante de Valentin occupe une concession où nous pûmes nous asseoir quelques minutes. Une fois les appareils mis à la charge, nous échangions quelques propos avec nos hôtes, quand une foule de curieux occupa peu à peu les bords de la rue. Nous ne tardâmes pas à voir défiler des jeunes filles initiées – c’est-à-dire, notamment, excisées. Agées de quelque douze ou treize ans, couvertes de colliers de perles et le visage masqué par une sorte de mantille de perles également, elles défilaient dans les rues de la préfecture leur jeune corps à moitié nu luisant sous le soleil. Le lendemain, nous entendions la conférence d’un médecin qui expliquait entre autres à une foule apparemment conquise qu’il fallait lutter contre les mutilations génitales, pendant que, à quelques rues de là, ces nouvelles excisées poursuivaient leur initiation – nous les vîmes de nouveau traverser la ville, à bord d’un pick-up cette fois-ci. Traditions contestées d’un côté, valorisées de l’autre, tandis que l’on invoque la modernité avec l’espoir qu’elle apporte le remède aux maux actuels, tout en se référant à la tradition pour retrouver des repères dans une société en mutation.

Après ces déambulations sous le soleil de Moïssala, la soif se fit sentir et nous gagnâmes la principale oasis du centre ville, la Grande Famille, que nous agrandîmes de nos quatre personnes pour y descendre quelques Castel et Gala bienfaisantes. Là, le cousin de Valentin qui avait voyagé avec nous en bus et qui avait supporté mon sac pendant tout le trajet nous rejoignit et nous invita à le suivre pour partager le repas. Nous le suivîmes, ou plutôt, nous suivîmes son jeune guide, non sans avoir complété le nombre de bouteilles vidées, jusqu’à une concession des faubourgs de Moïssala, où la boule nous attendait. C’était la première du grand nombre d’invitations qui nous seraient adressées pendant ces trois jours.

Le repas terminé, nous souhaitions assister à quelques conférences, à défaut d’animations, et nous reprîmes le chemin du centre de Moïssala. Nous nous installâmes pour assister à quelques prises de parole. Je me souviens d’un général à la retraite qui nous parla, d’une façon qui me sembla confuse, du rôle du Tchad pendant la Seconde Guerre Mondiale, puis d’un docteur qui aborda un sujet qui m’intéressait davantage, l’articulation de la tradition et de la modernité. Malheureusement pour moi, il fit son intervention en mbaye. Je me suis donc bien ennuyé, et nous reprîmes notre pérégrination à travers la ville.

En revenant du côté de la place où nous avions rencontré le chef de canton le matin même, un attroupement et des sons de tam-tam attirèrent notre attention. Il s’agissait d’une danse initiatique, exécutée par de jeunes hommes couverts de colliers de perles, portant un long pagne à la façon des femmes et une louche à la main. Leur visage était peint, leur tête coiffée de plumes, et leur corps enduit d’huile. Un panneau, porté par quelqu’un de la délégation indiquait « Danse Lab canton de Dembo ». Cette danse alterne les cadences lentes et celles, tumultueuses, où les hommes exécutent les mouvements d’épaules saccadés caractéristiques de cette danse. Ils étaient manifestement exténués et la foule les pressait de toutes parts. Certains des spectateurs s’étaient joints à leur danse et tournaient avec eux, au rythme des tam-tams. J’ai l’impression, rétrospectivement, que ces danses, comme les rites initiatiques auxquels elles sont associées, de même que le défilé des excisées de ce matin-là, appartiennent à un monde en train de disparaître. Les gens y assistent avec une certaine exaltation, mais comme des curieux, et non comme des personnes impliquées. La façon dont les personnes extérieures à l’initiation s’associent à la danse donne l’impression qu’il s’agit à la fois de démontrer qu’on est capable de la prouesse physique, mais également qu’on a assimilé cette danse, ce qui en fait un signe d’appartenance. La danse ou l’initiation sont prises en photos, filmées, observées, commentées, mais il me semble que c’est à la façon dont on regarderait des œuvres dans un musée, et non comme des événements vivants réellement structurants d’une communauté ou d’une identité – sinon d’une identité fantasmée. C’est devenu un folklore, et cela me fait penser à ce qui se passe en Bretagne, par exemple, où la mémoire des danses est déconnectée de leur fonction sociale initiale.

1 Au Tchad, on appelle « douche » ce que nous appelons douche, mais plus généralement ce que nous appelons toilettes. Ainsi, aller à la douche signifie le plus souvent aller aux toilettes et non pas aller se laver.

1 - Rue de Moïssala, 2 à 5 - Les bords du Chari, 6 - Le Marché-foire, 7 - Les initiées, 8 - Dessins d'enfants sur un mur, 9 à 11 - Danse Lab
1 - Rue de Moïssala, 2 à 5 - Les bords du Chari, 6 - Le Marché-foire, 7 - Les initiées, 8 - Dessins d'enfants sur un mur, 9 à 11 - Danse Lab
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G
Et bien mon Manu, c'est une belle épopée que tu vis là et tu me fais penser à Ulysse... alors je sais que tu nous reviendras et que nous en verrons encore plus dans ton regard... A bientôt, Youri.
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